Nous l’évoquions déjà dans notre précédent blog post du 9 décembre 2020 : traditionnellement, le droit de la consommation se focalise sur la protection de la santé et des intérêts économiques des consommateurs. Il leur accorde des droits de défense et d’information dans certaines situations identifiées comme étant « à risque ». En revanche, le législateur et la recherche n’observent que rarement les obligations (surtout environnementales) des consommateurs et le rôle actif qu’ils peuvent – doivent – déployer en vue de la réalisation d’une économie plus durable.

Par ailleurs, en Suisse, à l’exception de certaines dispositions spécifiques dans la loi contre la concurrence déloyale (par ex. l’art. 3 al. 1 let. s pour certaines obligations d’informations du prestataire [voir ég. l’art. 3 al. 1 let. o en lien avec le spamming]), le commerce électronique reste (très) peu réglementé. Pour l’essentiel, les règles ordinaires, notamment celles du droit des obligations et du droit des contrats, sont applicables. Cette retenue contraste avec l’importance pratique du commerce électronique, laquelle s’est encore accentuée avec la pandémie de COVID-19.

Faut-il voir dans cette parcimonie législative une bonne ou une mauvaise chose ?

Du point de vue de la protection du consommateur, on serait a priori tenté de répondre que c’en est une mauvaise. Contrairement à son homologue dans l’UE, un.e consommateur.trice suisse ne bénéficie par exemple pas d’un droit de retour légal gratuit et inconditionnel dans un délai de quatorze jours en cas de contrat conclu sur Internet. Dans les faits, les consommateurs suisses paraissent donc effectivement moins bien protégés sur ce point.

En intégrant dans la réflexion des éléments liés à la protection de l’environnement, la conclusion devient cependant moins évidente :

  • Un droit de retour gratuit et inconditionnel est-il véritablement une bonne chose pour promouvoir une décision écoresponsable et raisonnable du consommateur ? Ceci soulève la question de l’opportunité d’adopter un droit de retour supplémentaire pour le consommateur, au surplus s’il est gratuit.
  • Que se passe-t-il avec le produit commandé une fois qu’il a été renvoyé à son expéditeur (et qu’il n’est donc plus nécessairement utilisable, respectivement revendable à neuf) ? Ceci soulève la question de l’exception au droit de retour pour les cas où la marchandise n’est pas réutilisable, ou pas (plus) dans son état initial. Dans ce prolongement, se pose également la question du traitement des déchets et de la transparence sur cet aspect à l’égard du consommateur afin de favoriser une décision « durable » de ce dernier.
  • Quel est l’impact sur l’environnement et le trafic urbain de livraisons successives par la route de marchandises – parfois futiles – commandées à distance et qui ne peuvent être distribuées, car le consommateur n’est pas joignable ou absent (car il n’a par exemple pas eu l’opportunité de réserver une « plage » de livraison où il est à domicile) ? Ceci soulève notamment la question du moment du transfert des risques. Si ce transfert n’intervient qu’au moment du transfert effectif de la possession des biens en mains des consommateurs, le fournisseur sera tenté de « ramener » la marchandise et de (re)tenter une nouvelle livraison ultérieurement.

Mais, qu’on ne s’y méprenne pas. Il ne s’agit pas de remettre fondamentalement en question l’existence et l’utilité des moyens de protection légaux des consommateurs visant à pallier le déséquilibre informationnel et structurel dont ils sont réputés souffrir à l’égard des professionnels. Le propos est bien plus d’examiner, et de façon critique, les règles qui ont vocation à les protéger et, le cas échéant, de s’interroger sur leur compatibilité avec l’impératif de protection de l’environnement, particulièrement en promouvant également une économie circulaire (plutôt que linéaire). On se trouve donc vraisemblablement aujourd’hui à un moment charnière.

Concrètement, il s’agit de (re)concilier, d’une part, la protection des consommateurs (voir art. 97 Cst.) avec, d’autre part, le développement durable et la protection de l’environnement (voir art. 73 et 74 Cst.) :

  • Des changements législatifs doivent-ils être entrepris et, dans l’affirmative, lesquels et dans quelle mesure ?
  • L’information en ligne des consommateurs au sujet de la traçabilité environnementale d’un bien ou d’un service doit-elle être priorisée par rapport à d’autres obligations d’information ?
  • En cas de défaut de la chose achetée, ne devrait-on pas prioriser le droit à la réparation du bien pour le consommateur ? D’une manière générale, ne devrait-on pas favoriser la réparabilité des biens au moyen de la disponibilité (le cas échéant en ligne) de pièces de rechange aisément intégrables ?
  • Et, faut-il peut-être même abroger certaines règles de protection des consommateurs au motif qu’elles encouragent des modes de consommation non durables ?

A ces égards, les discussions n’en sont qu’à leurs balbutiements, et c’est ce qui les rend si intéressantes ! Se pourrait-il, en définitive, que la retenue – pour ne pas dire la réticence – du législateur suisse à protéger le consommateur en ligne offre à notre droit une plus grande flexibilité et adaptabilité aux défis et changements (climatiques) ?

Pour aller plus loin :

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Dr. in law and lecturer in consumer law, interested in new technologies and, in particular, the challenges they represent from the point of view of consumer protection and general principles of contract law. Actually SNSF PostDoc Mobility and affiliated researcher at the Faculty of Law of KU Leuven (Consumer Competition Market).