Contexte 

En application des lois fédérales de procédure civile, pénale et administrative, il est possible depuis 2011 de transmettre aux tribunaux suisses des écrits par voie électronique (art. 130 CPC ; art. 110 CPP ; art. 21a PA ; OCEI-PCPP ; OCEI-PA). Devant le Tribunal fédéral, depuis 2007, les parties peuvent même déposer des recours par voie électronique (art. 42 al. 4, 48 al. 2 et 60 al. 3 LTF ; RCETF). Ce procédé n’est toutefois que rarement utilisé.

En 2016, la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP) a décidé qu’il fallait créer les bases légales pour introduire la « justice électronique » dans les lois fédérales de procédure civile, pénale et administrative. Cette décision a été approuvée par les tribunaux cantonaux, le Tribunal fédéral, les ministères publics centraux des cantons, le Ministère public de la Confédération et la Fédération suisse des avocats. Le but était alors de prévoir la création d’une plateforme d’échange qui devrait être obligatoirement utilisée dans le domaine judiciaire et qui serait gérée par les cantons. Il s’agissait là des prémices du projet Justitia 4.0.

Initialement, il était donc prévu de créer une seule plateforme centralisée, raison pour laquelle l’avant-projet de loi fédérale s’intitulait « Loi fédérale sur la plateforme de communication électronique dans le domaine judiciaire » (mise en évidence ajoutée) (communiqué du 11 novembre 2020 du Conseil fédéral sur la plateforme de communication électronique dans le domaine judiciaire). Selon cet avant-projet, si tous les cantons n’adhéraient pas au projet, la Confédération aurait dû exploiter la plateforme seule. Suite à la procédure de consultation sur cet avant-projet, il s’est avéré que les cantons y étaient opposés. L’idée de la plateforme unique a ainsi été abandonnée et l’intitulé de la loi modifié. La volonté initiale de la CCDJP, soit qu’une plateforme unique soit créée, n’a par conséquent pas été pleinement respectée. La CCDJP a toutefois avalisé la solution trouvée (Message du 15 février 2023 à la loi fédérale sur les plateformes de communication électronique dans le domaine judiciaire (LPCJ) (FF 2023 [52] 679 p. 8, 10 et 15), cité Message LPCJ).

Le Conseil fédéral a adopté le 15 février 2023 le Message concernant la loi fédérale sur les plateformes de communication électronique dans le domaine judiciaire (LPCJ) (mise en évidence ajoutée).

Éléments principaux

Le projet de LPCJ a pour but de garantir une communication électronique simple et sûre de bout en bout dans le domaine judiciaire, entre les particuliers et les autorités d’une part et entre les autorités entre elles d’autre part (art. 1 al. 1 P-LPCJ), ainsi qu’une gestion électronique des dossiers. En d’autres termes, elle prévoit les conditions qui permettront la mise en œuvre de procédures judiciaires numérisées avec un traitement entièrement électronique des procédures judiciaires. Le dessein du Conseil fédéral est, par ce biais, d’obtenir une justice plus efficace (Message LPCJ, p. 69).

Afin d’atteindre ce but, le projet de LPCJ prévoit la constitution d’une corporation de droit public, par la Confédération et les cantons, qui sera dotée d’une personnalité juridique (art. 1 al. 2 let. b et art. 3 P-LPCJ). La tâche principale de cette corporation est la mise en place, l’exploitation et le développement d’une plateforme centralisée (utilisée si possible dans l’ensemble du pays) permettant la transmission électronique de documents dans le domaine judiciaire. L’intégralité, sauf exception, des documents sur support physique sera ainsi convertie en documents électroniques (art. 29 P-LPCJ) et archivée sur ce support (Message LPCJ, p. 15).

La loi a été rédigée de sorte à comprendre uniquement les dispositions indispensables (37 dispositions au total), ce qui a pour objectif de permettre l’adaptation de la plateforme utilisée, en cas de nécessité, à la technique qui évolue rapidement (Message LPCJ, p. 14). La loi contient des dispositions générales (section 1) qui sont suivies par des dispositions relatives aux organes responsables de la plateforme (section 2), aux fonctionnalités des plateformes (section 3), à l’autorisation d’exploiter une plateforme (section 4), à l’impossibilité d’accéder à la plateforme (section 5), à la protection et à la sécurité des données (section 6), à la numérisation et au renvoi des documents physique (section 7), à la responsabilité (section 8), au financement de la plateforme centralisée (section 9), ainsi que des dispositions finales (section 10).

Le projet de LPCJ ne contient aucune disposition générale relative à l’obligation de recourir à une plateforme de communication électronique pour les professionnels du droit et les autorités. Celle-ci sera inscrite dans chacune des lois de procédure idoines. Bien qu’il ait été envisagé de mentionner cette obligation directement dans le projet de LPCJ, il a été jugé préférable de prévoir de l’introduire dans chacune des lois de procédure en raison du principe de la codification générale selon lequel les dispositions régissant une procédure en particulier doivent être réunies dans la loi en question (Message LPCJ, p. 14 s.). Ce principe subit toutefois plusieurs entorses ; étant donné le nombre important de procédures concernées, il est directement prévu dans le projet de LPCJ une disposition relative au respect des délais lorsque la plateforme n’est pas accessible le jour de l’échéance (section 5, art. 26 P-LPCJ) et des dispositions relatives à la numérisation des documents physiques et au renvoi de ceux-ci, en temps utile, à leur expéditeur (section 7, art. 29 et 30 P-LPCJ).

Le projet de LPCJ prévoit des règles concernant l’authentification sur la plateforme (art. 20 P-LPCJ), l’apposition automatique d’un cachet électronique règlementé et un horodatage électronique qualifié au sens de la loi du 18 mars 2016 sur la signature électronique (SCSE) (art. 22 P-LPCJ). En cas de recours à une telle plateforme de communication électronique, il ne sera alors plus nécessaire d’apposer une signature électronique qualifiée à son écrit.

Conclusions

L’un des grands intérêts de la mise en place du type de plateforme concernée par cette loi – qu’elle soit unique ou non – est qu’il s’agira d’une plateforme de téléchargement et non pas d’une plateforme de messagerie électronique. En d’autres termes, les difficultés connues actuellement liées à l’impossibilité de transmettre des fichiers (trop) volumineux n’existeront plus. La taille des fichiers ne posera ainsi plus de difficulté particulière.

Cette loi n’est qu’une première pierre à l’édifice. Il sera en effet encore nécessaire que le Conseil fédéral édicte une ordonnance portant notamment sur les éléments suivants : identité électronique, authentification par un système propre aux autorités, quittances et validateur, sécurité de l’information et sécurité des données, numérisation des documents physiques, règlement sur les émoluments, format des écrits et annexes. Par ailleurs, le rôle des cantons n’est pas à négliger dans la mise en œuvre de ce nouveau droit, car les lois cantonales devront également être adaptées.

En dernier lieu, étant donné que la loi ne prévoit pas l’existence d’une plateforme unique, les cantons demeureront libres de développer leur propre système, pour autant que l’interopérabilité soit assurée, de conclure un accord avec la corporation de droit public qui sera créée leur permettant d’utiliser la plateforme (sans pour autant en devenir membre) ou de devenir membre de ladite corporation de droit public (Message LPCJ, p. 8). Cette solution laisse ainsi une plus grande marge de manœuvre aux cantons et est à notre sens le fruit d’un bon compromis helvétique.

Il conviendra désormais de suivre les débats aux Chambres fédérales qui aboutiront vraisemblablement à l’adoption de la LPCJ. Un délai référendaire s’en suivra avant son entrée en vigueur. À noter qu’un délai transitoire de deux ans entre l’entrée en vigueur de la LPCJ et l’obligation d’utiliser une plateforme est prévu (art. 37 P-LPCJ ; Message LPCJ, p. 11). Le processus législatif sera donc encore long avant que la Suisse dispose d’une procédure judiciaire numérisée utilisée par l’ensemble des professionnels du droit.

Auteur(s) de cette contribution :

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Assistante FNS au sein de la Chaire de procédure civile et de droit des professions judiciaires à la faculté de droit de Neuchâtel ainsi qu'avocate à Neuchâtel, avec un intérêt particulier sur l'impact que peuvent avoir les nouvelles technologies sur la procédure civile qu'il s'agisse de sa dématérialisation ou de son automatisation.