La DAO – un véhicule juridique issu du monde numérique

L’organisation autonome décentralisée (decentralized autonomous organization, DAO) est une nouvelle forme d’organisation sociale numérique existant sur la blockchain. Cette entité numérique permet à un groupe de personnes de gérer des actifs cryptographiques, notamment des cryptomonnaies ou des jetons non fongibles (non-fongible token, NFT), de manière collective et selon des règles de gouvernance inscrites sur la blockchain sous forme de code informatique. Ces règles régissent la DAO au même titre que le droit et les statuts régissent une société. Elles définissent, par exemple, les rapports entre les membres et la DAO, des membres entre eux, et entre la DAO et les tiers, mais aussi le but de l’entité, son mode de gouvernance, ou encore le capital social de la DAO.

La grande nouveauté introduite par les DAOs est leur autonomie face aux institutions privées et publiques, telles que les banques et les registres étatiques. Les membres d’une DAO n’ont, en effet, aucunement besoin de faire inscrire leur entité dans un registre étatique pour valider son existence, ni d’ouvrir un compte auprès d’une banque afin de détenir des actifs. La technologie blockchain étant elle-même un registre et qui plus est, aux fonctionnalités diverses, c’est elle qui se charge d’enregistrer l’existence de la DAO et de lui fournir un porte-monnaie cryptographique (wallet). Les DAOs échappent ainsi au contrôle de l’État et des institutions.

On dénombre aujourd’hui près de 200 DAOs en activité gérant un total d’environ 14 milliards de dollars d’actifs cryptographiques. Cette somme astronomique est le reflet du nouveau secteur de la finance décentralisée (decentralized finance, DeFi) qui est en plein essor, porté par la spéculation autour de la valeur du bitcoin, de l’ether et d’autres cryptomonnaies. Si l’utilisation de la DAO en tant que « véhicule juridique » de la blockchain se démocratise, les questions juridiques qui se posent n’en demeurent pas moins nombreuses. En effet, la vaste majorité des DAOs conçues aujourd’hui existent en dehors de tout cadre légal ; aucune loi ne régit leur organisation, leur nature juridique, ou leurs rapports internes et externes. Il en résulte une grande insécurité juridique pour les membres des DAOs qui sont soumis à un régime juridique incertain en faisant partie de ce type d’entité, ainsi que pour les tiers contractants avec les DAOs qui ne peuvent définir avec certitude l’existence juridique de leur co-contractant, voire même savoir si quelqu’un est lié par l’engagement contractuel pris par la DAO.

Offrir une portée juridique aux DAOs

Misant sur le développement de la crypto économie, certains États ont intégré ces nouvelles formes d’organisations sociales dans leur droit. C’est notamment le cas des États du Vermont et du Wyoming aux États-Unis d’Amérique, qui offrent la possibilité à une société à responsabilité limitée (limited liability company, LLC) de mettre toute sa gouvernance sur la blockchain et d’enregistrer les votes de ses membres sur des smart contracts inscrits sur la blockchain. En d’autres termes, ces États américains permettent la création d’une DAO-LLC ayant la personnalité juridique. En revanche, le droit de ces États ne traite pas de l’existence juridique des DAOs constituées en dehors de tout ordre juridique, quand bien même celles-ci représentent la grande majorité des DAOs en activité. Comme ces DAOs sont des entités intrinsèquement internationales, elles tombent en dehors du régime existant du droit des sociétés et, à l’heure actuelle, aucun législateur n’a proposé de régime juridique adapté à celles-ci. L’insécurité juridique subsiste donc pour ce type de DAOs, leurs membres et leurs co-contractants.

C’est précisément pour répondre au vide juridique existant que le groupe de travail international Coalition of Automated Legal Applications (COALA), composé d’experts issus des milieux juridique et technologique, a rédigé une loi type ayant pour objectif d’aider les États à moderniser leur doit des sociétés en adoptant des règles de droit matériel applicables aux DAOs. S’écartant d’un modèle législatif anational basé sur l’autorégulation dont les règles seraient uniquement adoptées par la communauté blockchain, la COALA Model Law for Decentralized Autonomous Organizations (DAOs), qui est en phase de consultation, implique au contraire que les États adoptent dans leur propre droit interne des règles uniformes octroyant une portée juridique aux DAOs. L’approche originale de la Loi type sur les DAOs réside dans le fait qu’elle offre un régime juridique unique à la DAO se détachant des formes de sociétés existantes et prenant en considération les caractéristiques de la technologie blockchain.

Les principes d’équivalence fonctionnelle et réglementaire au cœur de la Loi type

Afin de tenir compte au mieux du contexte technologique dont les DAOs émanent, les règles prévues par la Loi type sur les DAOs ont été rédigées en intégrant les concepts d’équivalence fonctionnelle et réglementaire. Ces concepts servent notamment à faire évoluer l’interprétation des normes légales, voire à les adapter, pour tenir compte des situations dans lesquelles la technologie permet de répondre à des exigences et principes légaux existants. Les auteurs de la Loi type ont identifié les cas où la technologie blockchain remplit de facto le but normatif d’une règle légale à laquelle un modèle de société semblable de la DAO est soumis, et ont adapté les règles applicables aux DAOs en tenant compte de ces spécificités technologiques. La Loi type est ainsi un ensemble cohérent de règles légales adaptées aux DAOs.

Pour illustrer le recours aux principes d’équivalence fonctionnelle et réglementaire, on peut prendre l’exemple de la société anonyme qui acquiert la personnalité juridique, en droit suisse, au moment de son inscription au registre du commerce. Compte tenu du fait que le registre du commerce bénéficie de la foi publique et peut être librement consulté, il assure la fiabilité et la publicité des informations qui y figurent. Une DAO créée sur une blockchain publique étant de facto inscrite dans un registre public librement accessible et certifiant les informations qui y figurent, la Loi type ne requiert pas d’une DAO qu’elle s’inscrive, en plus, dans un registre étatique pour avoir une existence juridique. L’inscription de la DAO sur le registre de la blockchain suffit à remplir le but normatif de fiabilité et de publicité qui est assuré, pour les formes de sociétés traditionnelles, par le registre du commerce. Ceci est un exemple parlant d’utilisation des principes d’équivalence fonctionnelle et réglementaire pour adapter le cadre normatif imposé aux DAOs en prenant en compte les caractéristiques techniques de la technologie blockchain.

Le régime juridique de la DAO selon la Loi type

La Loi type définit la DAO comme étant une entité juridique qui peut non seulement être à but lucratif, mais peut aussi être utilisée à de multiples fins non commerciales (art. 1). La DAO acquiert la personnalité juridique si elle remplit un certain nombre de caractéristiques techniques (art. 2 cum art. 4), avec pour effet que ses membres bénéficient d’une responsabilité limitée (art. 5). Il n’y a pas d’exigence de capital social minimal (art. 6 par. 1), étant donné que la situation financière de la DAO est transparente et accessible aux tiers, ce qui octroie une protection suffisante aux créanciers. La DAO peut compter plusieurs catégories de membres avec des droits différents (art. 7). Ainsi, chaque catégorie peut se voir octroyer le droit de soumettre une proposition à la communauté, de voter sur les propositions, de bénéficier d’avantages financiers, de participer au partage des bénéfices de l’entité, ou toute combinaison de ces droits. L’organisation interne de la DAO doit être définie dans ses statuts (art. 11), lesquels doivent être librement accessibles sous une forme compréhensible pour tout un chacun (art. 4 par. 1 lit. f). La DAO n’est administrée par un administrateur que si cela est prévu dans ses statuts (art. 13). Elle peut en outre désigner un représentant pour entreprendre toute tâche ne pouvant pas être accomplie de manière automatisée sur la blockchain (art. 14). D’un point de vue fiscal, la DAO doit être traitée comme une entité transparente dans les États appliquant la Loi type (art. 20).

Les art. 16 à 18 sont des dispositions spécifiques aux DAOs qui ne trouvent pas leur pendant dans les formes de sociétés traditionnelles. L’art. 16 règle le sort de la personnalité juridique de la DAO lorsque la blockchain sur laquelle elle est constituée subit un hard fork, c’est-à-dire la coupure de la blockchain en au moins deux versions différentes à cause d’un désaccord au sein de la communauté, conduisant à l’existence de deux ou plusieurs versions différentes de la DAO. L’art. 17 prévoit la possibilité pour une DAO de modifier, améliorer ou migrer ses smart contracts afin de lui permettre d’évoluer et de se mettre à jour. L’art. 18 prévoit, quant à lui, le maintien de la personnalité juridique de la DAO en cas de défaillance technique (par exemple, un hack).

Pour aller plus loin

Une analyse détaillée de la Loi type sur les DAOs ainsi qu’une critique du régime juridique qu’elle propose sont disponibles dans l’article suivant paru dans la Revue de droit international d’Assas :

Guillaume Florence / Riva Sven, DAO, code et loi – Le régime technologique et juridique de la decentralized autonomous organization, Revue de droit international d’Assas (RDIA) 2021, p. 206-232

Auteur(s) de cette contribution :

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Professeure de droit international privé à l'Université de Neuchâtel | Recherche axée sur les enjeux juridiques de la digitalisation (blockchain, plateformes, IA, intégrité numérique) | Fondatrice du LexTech Institute

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Doctorant et assistant de recherche à l'Université de Neuchâtel | Ma recherche se concentre avant tout sur les enjeux juridiques de la numérisation (blockchain, plateformes, IA, intégrité numérique)