Vous pensez que le tabagisme est une problématique du passé ? Détrompez-vous ! Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’épidémie du tabagisme est l’une des plus graves menaces ayant jamais pesé sur la santé publique mondiale. Le tabac tue plus de 8 millions de personnes par an, et ce chiffre ne va cesser d’augmenter si rien n’est fait. La plupart des fumeurs sont conscients des dangers du tabac et une partie d’entre eux aimerait arrêter, mais il est difficile de se débarrasser d’une telle addiction. Des interventions simples visant à modifier le comportement des fumeurs peuvent aider à réduire considérablement ces décès prématurés.

La consultation en face-à-face avec un professionnel de la santé reste le moyen le plus efficace pour aider les gens à arrêter de fumer. Toutefois, les taux de participation à ces programmes sont faibles et ils ne sont pas nécessairement toujours disponibles ou accessibles. C’est l’une des raisons pour laquelle une recrudescence de ressources numériques pouvant apporter un soutien au sevrage tabacologie est observée depuis quelques années. D’autant plus que l’adoption mondiale et massive d’appareils mobiles, tels que les smartphones, continue de stimuler cette croissance rapide du domaine de la santé électronique. Ainsi, ces nouvelles technologies donnent aux individus la possibilité de s’engager pleinement dans la prise de décision en matière de santé, ce qui ouvre des possibilités d’améliorer son comportement en matière de santé.

Mais qu’en est-il réellement ? Est-ce que ces artefacts logiciels, émis le plus souvent sous forme d’applications mobiles, sont vraiment alignés avec les interventions qui ont prouvé leur efficacité dans la littérature scientifique ? Peut-on se fier aux éditeurs de ces applications ? Ces applications permettent-elles réellement de s’engager dans un processus de sevrage tabagique ? C’est ce que nous avons cherché à comprendre.

Pour ce faire, nous avons recueilli les 99 applications de sevrage tabagique les plus populaires, toutes plateformes confondues, afin de les examiner en profondeur. Ces applications ont été évaluées sur trois axes : (1) le support scientifique des interventions proposées, (2) la crédibilité de la source d’émission et (3) l’implémentation de mécanismes favorisant l’utilisation de l’application sur le long terme. Pour déterminer si les interventions proposées reposaient réellement sur des preuves scientifiques fondées, nous nous sommes basés sur les lignes directrices de traitement de la dépendance du tabac émises par 26 différents pays. Ces lignes directrices se basent sur la littérature scientifique et ont pour objectif de donner une marche à suivre aux professionnels de la santé dans le traitement de personnes dépendantes au tabac. Nous avons extrait les interventions communes à ces lignes directrices présentant de fortes preuves scientifiques d’efficacité et avons parcouru les applications à la recherche de telles interventions. La crédibilité de la source d’émission de l’application a également été examinée. En effet, n’importe quel individu disposant de compétences de développement peut publier sa propre application. Ainsi, différents niveaux de crédibilité ont été attribués en fonction de l’éditeur de l’application, lequel peut être une Université, un département de la santé publique ou tout simplement un développeur lambda dans son garage. Finalement, pour autant qu’une application utilise des méthodes validées scientifiquement, faut-il encore que l’application soit utilisée activement. C’est pour cela que nous avons également examiné la présence de mécanismes de « gamification » attestés par la littérature scientifique visant à retenir et impliquer au maximum l’utilisateur sur l’application.

Finalement, un classement des applications sur la base des trois axes d’évaluation a été établi. Le constat est sans appel, seules 2 applications sur 99 répondent positivement à tous les critères d’évaluation et sont selon nous recommandables : Stop-Tobacco de l’Université de Genève et Quit Genius de Digital Therapeutics. Les résultats démontrent globalement que les applications de sevrage tabagique actuellement populaires peuvent encore être améliorées. L’adhésion aux lignes directrices reposant sur des preuves scientifiques reste faible. Il est souvent difficile d’évaluer la crédibilité de la source, car la plupart du temps, la source est inconnue ou aucune garantie de légitimité n’est disponible. En ce qui concerne l’engagement de l’utilisateur, la grande majorité des applications récompensent automatiquement les fumeurs sans nécessiter leur intervention ou sans se baser sur leur comportement réel. L’absence de grandes études empiriques sur l’efficacité des applications de sevrage tabagique ouvre également la voie à de futures recherches.

Pour en savoir plus : Alessio De Santo / Adrian Holzer, Assessing Digital Support for Smoking Cessation (https://libra.unine.ch/export/DL/Adrian_Holzer/40768.pdf)

Auteur(s) de cette contribution :

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Adrian Holzer est professeur de management des systèmes d'information à l'université de Neuchâtel. Il est titulaire d'un doctorat en systèmes d'information de l'Université de Lausanne. Il a été chercheur associé à l'EPFL, co-responsable de la plate-forme interdisciplinaire de l'Université de Lausanne et chercheur au FNS à l'Ecole Polytechnique de Montréal. Ses intérêts de recherche couvrent la transformation digitale dans les contextes organisationnels, éducatifs, et humanitaires.

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Alessio De Santo est assistant-doctorant à l'Université de Neuchâtel. Ses intérêts de recherche résident principalement sur l’impact que peuvent avoir les systèmes d’information sur le comportement humain. Plus particulièrement, Alessio s'intéresse à l’influence que peut avoir un support numérique sur la motivation d’un individu à adopter un comportement plus sain.