Juste avant Noël, le Conseil fédéral (CF) a publié son rapport en réponse au postulat 19.3421 de la Commission de la science, de l’éduction et de la culture du Conseil des Etats. Par cette intervention parlementaire, le CF était prié d’évaluer l’efficacité de la révision du droit d’auteur entrée en vigueur le 1er avril 2020, en prenant aussi en considération l’évolution du droit européen. Au début de son rapport, le CF tire un premier bilan des nouveautés introduites dans la loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins (LDA) ; ensuite, il s’interroge sur l’opportunité d’une protection accrue des éditeurs de presse et des journalistes dans le monde numérique.

Bilan des nouveautés

Globalement, le CF est assez positif sur l’efficacité de la révision. Si les nouvelles mesures de lutte contre le piratage (art. 39d LDA et art. 77i LDA) n’ont pas occasionné une augmentation des procédures contre les hébergeurs ou les fournisseurs de contenus, le CF l’attribue à l’effet dissuasif qu’elles provoquent et il remarque que les critiques des ayants droit ont diminué. De même, la protection des photographies sans caractère individuel (art. 2 al. 3bis LDA) aurait permis de simplifier la mise en œuvre des droits, sans entraîner une vague de demandes d’indemnisation comme on aurait pu le craindre (notamment en raison des facilités d’accès aux photographies grâce à Internet). Quant au nouveau droit à rémunération pour la vidéo à la demande (art. 13a LDA et art. 35a LDA), le CF le considère comme un premier pas dans la bonne direction, pour combler un déficit dans l’indemnisation des ayants droit (« value gap »). On relèvera cependant qu’il est certainement trop tôt pour se prononcer à ce sujet, puisque le tarif mettant en application le nouveau droit est entré en vigueur seulement le 1er janvier 2022.

Le CF relève encore que les nouvelles restrictions au droit d’auteur ont permis d’améliorer l’accès aux œuvres, notamment pour les œuvres orphelines (art. 22b LDA) et grâce à la restriction en faveur des inventaires (art. 24e LDA). S’agissant de l’exception pour la recherche scientifique (art. 24d LDA), le CF est plus mitigé : elle légalise, à certaines conditions, la fouille de textes et de données au moyen d’instruments numériques. Mais les contrats imposés par les grands éditeurs internationaux iraient parfois à son encontre, ce qui dissuaderait les chercheurs d’invoquer l’exception, par crainte de litiges. De même, le CF est nuancé au sujet du nouveau modèle de la licence collective étendue (art. 43a LDA) : celui-ci permet aux sociétés de gestion de délivrer une licence globale pour tout un répertoire (même pour le compte d’ayants droit qu’elles ne représentent pas contractuellement), mais il n’aurait pas encore développé tout son potentiel. A notre avis, cela n’est guère étonnant puisque le législateur a lui-même considéré la licence collective étendue comme un instrument subsidiaire : d’une part, les ayants droit ont une possibilité de refuser la licence (« opt-out », art. 43a al. 4 LDA) ; d’autre part, celle-ci ne doit pas être utilisée pour des exploitations habituellement autorisées de manière individuelle par les titulaires de droits (cf. art. 43a al. 1 lit. a LDA).

Enfin, le CF constate que les milieux intéressés regrettent l’absence d’effets transfrontaliers des nouvelles restrictions, qui seraient pourtant souhaitables dans un contexte en ligne. Il remarque toutefois que la Suisse suit activement les discussions au sein de l’OMPI à ce sujet, qui pourraient aboutir à de nouveaux traités. Selon nous, une réglementation internationale serait particulièrement importante pour la licence collective étendue, afin qu’elle puisse être utilisée aussi pour des exploitations en réseau multi-territoriales.

Protection des contenus journalistiques

Les services comme « Google Actualités » mettent à disposition des listes d’hyperliens, qui conduisent à des contenus journalistiques et qui sont accompagnés de brefs aperçus des articles (« snippets »). Pour cela, les services en ligne n’ont souvent pas besoin de licences de la part des éditeurs de presse, car l’apposition des hyperliens (en principe des liens profonds) n’est pas soumise au droit d’auteur. De plus, les « snippets », même s’ils sont produits par les médias eux-mêmes, ne sont généralement pas protégés, faute d’individualité. Pourtant, il se peut qu’ils suffisent à satisfaire le besoin d’information des internautes. Dès lors, ces derniers renonceront à activer les liens et à consulter les publications sur les sites des éditeurs. Si le service en ligne encaisse des recettes publicitaires, il le fera donc « sur le dos » des médias journalistiques.

Dans ce contexte, la directive européenne 2019/790 sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique a instauré un droit voisin exclusif en faveur des éditeurs de presse (art. 15). Il s’agit d’une protection sui generis, que les éditeurs peuvent invoquer vis-à-vis des services en ligne, sauf si ceux-ci utilisent des mots isolés ou de très courts extraits de la publication (art. 15 ch. 1 in fine). De plus, les éditeurs doivent faire participer les journalistes aux revenus que leur procure le droit voisin (art. 15 ch. 5).

Dans son rapport, le CF estime justifié que les médias journalistiques touchent une compensation pour l’utilisation de leurs contenus. Il annonce donc son intention d’élaborer, d’ici la fin 2022, un projet destiné à être mis en consultation. Mais il ne se prononce pas encore sur la voie à suivre : à son avis, l’approche européenne présente certains inconvénients, dans la mesure où les services en ligne auraient simplement raccourci les « snippets » pour qu’ils constituent de « très courts extraits » échappant au droit voisin. Le CF évoque donc quelques alternatives, notamment celles d’instaurer un simple droit à rémunération analogue à celui de l’art. 35 LDA ou de recourir à la LCD. L’idée d’une approche par le droit de la concurrence déloyale, plutôt que par le droit d’auteur, nous paraît intéressante : en effet, l’enjeu est plus de lutter contre des comportements parasitaires que de protéger la créativité.

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Deputy CEO de SUISA, Coopérative des auteurs et éditeurs de musique. Professeur titulaire à l'Université de Neuchâtel, en charge du cours "Noms de domaine, droit d'auteur et Internet". Co-fondateur du Pôle de Propriété Intellectuelle et de l'Innovation [PI]2.