La question est actuelle en propriété intellectuelle : le droit d’auteur protège-t-il – ou devrait-il protéger – les créations générées par l’intelligence artificielle (IA) ? Par exemple les chansons ou les scénarios de films élaborés de manière autonome par des logiciels, grâce à la méthode du deep learning ?

Une récente résolution du Parlement européen aborde cette question (Résolution du Parlement européen du 20 octobre 2020 sur les droits de propriété intellectuelle pour le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle (2020/2015(INI))). On peut y lire en particulier « qu’une conception de l’IA centrée sur l’humain […] est nécessaire afin que la technologie demeure un instrument au service des personnes et du bien commun » (consid. F) ; « qu’il est essentiel d’opérer une distinction entre les créations humaines assistées par l’IA et les créations autonomes de l’IA » (consid. J) ; que, pour les premières, « le cadre actuel sur le droit d’auteur reste applicable » (consid. 14) ; alors que les secondes pourraient ne pas bénéficier de cette protection « afin de respecter le principe d’originalité, qui est lié à une personne physique, et étant donné que la notion de « création intellectuelle » porte sur la personnalité de l’auteur » (consid. 15). Le même considérant n’exclut cependant pas cette protection, mais relève qu’elle devrait alors faire l’objet d’une « approche horizontale » de la part de la Commission.

En droit suisse, la situation est claire : la loi sur le droit d’auteur (LDA) ne protège pas les œuvres créées exclusivement par l’IA. Cela pour deux raisons : d’abord parce que, d’après l’art. 6, la protection n’est accordée qu’à la personne physique qui a créé l’œuvre. Ensuite parce que, d’après l’art. 2 LDA, l’œuvre protégée doit être une création de l’esprit ; en d’autres termes, elle doit résulter de l’activité intellectuelle de l’être humain. Par conséquent, aujourd’hui, le droit d’auteur ne protège pas les machines ou les animaux, il est réservé à la personne humaine. Bien sûr, cela n’empêche pas qu’il puisse y avoir un droit d’auteur sur le logiciel ayant créé l’œuvre. Ce logiciel résultera de l’activité intellectuelle d’une personne et, s’il dispose d’un caractère individuel, il sera considéré comme une œuvre protégée d’après l’art. 2 al. 3 LDA. Mais, encore une fois, cela n’implique pas que les créations issues du logiciel soient elles-mêmes protégées par cette loi. Tel pourrait être le cas seulement si l’être humain, parallèlement à la machine, avait apporté son « grain de sel » pour donner un caractère individuel à l’œuvre ; s’il avait, par exemple, utilisé le logiciel comme un instrument, en conservant lui-même une marge de manœuvre dans les choix artistiques. Le droit suisse opère donc, lui aussi, une distinction entre créations assistées par l’IA et créations de l’IA.

On ne peut que le saluer. Il faut en effet rappeler les fondements du droit d’auteur. Les prérogatives morales qu’il confère protègent le lien particulier existant entre le créateur et son œuvre. Elles ont un rapport étroit avec le droit de la personnalité. C’est parce que l’auteur a laissé un peu de lui-même dans son œuvre qu’il bénéficie de droits moraux. En ce qui concerne les prérogatives patrimoniales du droit d’auteur, elles permettent à l’auteur de valoriser son œuvre. Elles ont pour but d’encourager et de récompenser le travail de création. Cela parce que la société entend profiter du génie des créateurs. Les machines n’ont ni personnalité, ni besoin d’être incitées à créer, ni besoin d’être récompensées. Le droit d’auteur doit donc être réservé aux humains, il ne doit pas être étendu à l’IA.

Mais il faut en convenir : si des machines créent toutes seules des œuvres individuelles, originales, attractives, il est clair qu’il se trouvera des personnes qui voudront les commercialiser et en tirer un bénéfice. Il serait certainement choquant que ces dernières puissent alors, sans condition, se faire de l’argent grâce aux œuvres issues de l’IA, alors que des tiers ont dû financer le développement des logiciels ayant permis ces œuvres. Une protection sur les créations de l’IA est donc nécessaire. Mais elle pourrait relever des droits dits « voisins », de la loi contre la concurrence déloyale ou encore d’un droit sui generis. Au risque de paraître romantique, nous plaidons pour un droit d’auteur au service de la créativité humaine, et non des investissements. Toute autre solution ébranlerait les fondements de la propriété littéraire et artistique, qui est un droit de l’homme (art. 27 al. 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme).

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Deputy CEO de SUISA, Coopérative des auteurs et éditeurs de musique. Professeur titulaire à l'Université de Neuchâtel, en charge du cours "Noms de domaine, droit d'auteur et Internet". Co-fondateur du Pôle de Propriété Intellectuelle et de l'Innovation [PI]2.