Les générateurs « text to image » – DALL·E, Midjourney, Stable Diffusion ou le tout récent module intégré à GPT-4o – bouleversent la création visuelle à un rythme qui rappelle l’apparition de l’appareil photo ; les mêmes reproches de « procédé mécanique » qui furent autrefois adressés aux photographes refont surface aujourd’hui contre les artistes utilisateurs·trices d’IA (M. Kummer, Das urheberrechtlich schützbare Werk, Berne 1968, p. 207).
Pourtant, comme la photographie au XIXème siècle, ces outils s’inscrivent déjà dans des pratiques créatives où l’intervention humaine reste décisive.
Techniquement, les modèles texte-image reposent d’abord sur la constitution et la préparation de bases de données liant visuels et légendes. Ces données sont ensuite nettoyées – suppression de doublons, normalisation des métadonnées, élimination d’images illicites – puis liées à des descriptions textuelles permettant de les classifier. Pour réaliser cette étape, les modèles utilisent des encodeurs de texte et d’image (p.ex., CLIP d’OpenAI) qui traduisent les descriptions et pixels en vecteurs communs capables de capturer les relations sémantiques (H. Linde, So funktionieren Bild-Generatoren, 23.05.2023, https://www.golem.de/news/kuenstliche-intelligenz-so-funktionieren-ki-bildgeneratoren-2305-174436.html, consulté le 25.02.2025).
Image tirée de https://openai.com/index/clip/
Une fois les étapes préparatoires terminées, le modèle d’IA peut être entraîné. Les générateurs d’images modernes s’appuient sur des modèles de diffusion : ils ajoutent progressivement du bruit aux images d’entraînement, apprennent comment l’annuler, puis inversent ce processus pour créer de nouvelles images (Andrew, How does Stable Diffusion work?, 09.06.2024, https://stable-diffusion-art.com/how-stable-diffusion-work/, consulté le 25.02.2025).
En droit suisse, la protection des images produites par des modèles d’IA doit s’apprécier à la lumière des conditions légales posées par l’art. 2 al. 1 LDA [1] : la création de l’esprit, l’appartenance au domaine littéraire ou artistique et le caractère individuel.
La création de l’esprit suppose l’intervention d’une volonté humaine. L’œuvre doit ainsi être l’expression d’une manifestation de la pensée (ATF 130 III 168, JdT 2004 I 285 – Bob Marley). Le législateur précise que dès que la volonté humaine décide du résultat, par exemple dans le cas d’œuvres artistiques créées par ordinateur, il y a bien création de l’esprit, laquelle est protégée à condition qu’elle revête un caractère individuel (FF 1989 III 465, p. 507). De l’avis de la doctrine, l’on doit admettre que la condition de la création de l’esprit est remplie dès lors que l’auteur·e exerce une simple influence sur sa création (I. Cherpillod, L’objet du droit d’auteur, Lausanne 1985, p. ˚217).
À notre sens, la condition de la création de l’esprit est en principe remplie pour les images générées par des modèles d’IA. En effet, le lien entre l’utilisateur·trice et l’image générée est évident : c’est en raison des instructions données que le processus de génération s’enclenche et que l’image est produite. De surcroît, le lien entre l’utilisateur·trice et l’image générée se manifeste de différentes manières. D’une part, la formulation du prompt, même succincte, traduit certaines intentions, goûts et préférences artistiques, ce qui oriente déjà l’esthétique et la thématique de l’image. D’autre part, l’utilisateur·trice procède souvent par essais et ajustements successifs, recherchant un résultat conforme à sa vision. Par ailleurs, il ou elle sélectionne et retient, parmi les images générées, celle qui correspond le mieux à ses objectifs, avant d’y apporter, le cas échéant, des retouches ou de l’intégrer dans une œuvre plus large.
Ensuite, l’image générée par IA appartient sans contestation au domaine artistique, car elle mobilise formes, couleurs et composition visuelle.
Quant au caractère individuel, il s’apprécie objectivement. Conformément au principe de l’unicité statistique, l’œuvre doit être considérée comme individuelle si elle n’aurait pas pu être créée à l’identique par un ou une autre auteur·e, de manière indépendante (I. Cherpillod, Propriété intellectuelle, Précis de droit suisse, Bâle 2021, N 1065, p. 185-186). L’individualité s’oppose ainsi à la banalité ou au travail de routine et se distingue du tout-venant (ATF 130 III 714, consid. 2.3, JdT 2004 I 281).
Selon nous, le caractère individuel des images générées par des modèles d’IA ne peut être reconnu que si l’utilisateur·trice intervient activement dans le processus de création. À défaut, l’image produite par le modèle n’est qu’une réponse statistique, banale et potentiellement reproductible à l’identique par toute autre personne. Le degré d’implication humaine est donc déterminant. Le travail conceptuel de l’utilisateur·trice, s’il est suffisamment détaillé, permet d’orienter le modèle d’IA vers un résultat unique. En parallèle, les choix techniques – comme la sélection de la plateforme, le réglage des paramètres ou la post-production – jouent également un rôle central. C’est l’ensemble de ces décisions qui contribue à façonner une image véritablement singulière.
À cet égard, il y a lieu de s’inspirer de la jurisprudence relative à la photographie, où la protection d’une œuvre repose sur les décisions créatives du photographe. De la même manière, si l’utilisateur·trice d’un modèle d’IA prend des décisions comparables, nous estimons que le caractère individuel de l’image doit être reconnu.
Pour conclure, nous regrettons la prudence excessive de nombreux experts face à la protection des images générées par l’IA. À nos yeux, cette méfiance rappelle celle qui avait entouré l’arrivée de la photographie : l’usage d’un outil technique ne doit pas exclure la créativité humaine, mais peut au contraire en être le prolongement naturel.
Proposition de citation : Timothée Barghouth, Images générées par IA : création de l’esprit et caractère individuel en droit suisse, Blog du LexTech Institute, 4 juin 2025
[1] Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins du 09.10.1992 (LDA; RS 231.1).
Auteur(s) de cette contribution :

Timothée Barghouth
Avocat chez Enodo Legal, avec une expertise en droit de la propriété intellectuelle, droit pénal et droit des affaires, diplômé du CAS en droit et IA de l'Université de Neuchâtel.