Dans le prolongement de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels dite El Khomri, et de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM), le Conseil des ministres français adoptait, le 21 avril 2021, deux ordonnances relatives aux plateformes d’intermédiation numérique (Ordonnance n° 2021-484 et Ordonnance n° 2021-487). Un dénouement législatif qui intervient en France alors que les décisions judiciaires continuent de fleurir, malgré deux arrêts de la Cour de cassation requalifiant la relation de travail en salariat (Cass. Soc. 28.11.2018, Cass. Soc. 4.03.2020 CA Paris 8.10.2020, CA Lyon 15.01.2021 et CA Paris 7.04.2021). Le Gouvernement exprime ainsi une volonté de renforcer la sécurité juridique et promouvoir le développement de l’économie numérique en définissant un cadre juridique pour l’activité de ces plateformes. Est-ce à dire que cela suffira à apaiser les contentieux ?

La première ordonnance modifie le Code du travail en introduisant les articles L7343-1 à 20 et L7345-1 à 6. Les travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes numériques d’emploi possèdent désormais un droit de représentation collective. Cette réforme intervient dans le prolongement de l’instauration, en 2019, d’une responsabilité sociale consistant dans la prise en charge des cotisations volontaires à une assurance accident (art. L7342-2) et de la formation professionnelle (art. L7342-3). La France poursuit sa politique de mise en place de droits proches de ceux des travailleurs salariés, pour ces personnes présumées posséder un statut d’indépendant (art. L7341-1). Elle confirme ainsi la nécessité de corriger l’asymétrie et l’inégalité des pouvoirs de négociation avec les plateformes, accusées de dégrader les conditions de travail. Une réforme qui reste toutefois en demi-teinte malheureusement, car le chapitre définissant le « Dialogue social de plateforme » est resté vide. De plus, ces droits sociaux ne sont aujourd’hui ouverts qu’aux secteurs des voitures de transport avec chauffeur et de la livraison.

La seconde ordonnance modifie le code des transports. Ce second texte confirme la summa divisio déjà utilisée dans le Code du travail (art. L7342-1) pour les mesures mentionnées ci-dessus, entre d’une part les « bonnes plateformes », les opérateurs qui, soit n’interviennent pas dans la relation commerciale, soit limitent leur rôle à celui de facilitateur de la conclusion du contrat entre le client et le prestataire, et les « autres », qui exercent une influence décisive sur les conditions des services ou leurs prix, au point d’en devenir les prestataires de service. Les premières exerceront librement leur activité d’intermédiation ou n’auront qu’à déclarer leur activité. Les secondes, sous contrôle des autorités administratives, devront désormais présenter des garanties financières et d’honorabilité professionnelle pour obtenir leur enregistrement (art. L3152-2 et L3253-2), et répondront du comportement de leurs prestataires vis-à-vis de la clientèle (art. L3152-5 et L3253-5).

Dans les deux cas, c’est la force du lien d’intermédiation, matérialisé par l’influence décisive exercée par la plateforme sur les caractéristiques de la prestation de service, qui sert de ligne de démarcation. Il s’agit ni plus ni moins que des principes dégagés par les jurisprudences de la Cour de justice de l’Union européenne dans les affaires Asociación Profesional Elite Taxi et Airbnb Ireland UC sur les plateformes, dont le rôle est indissociable du service lui-même, et qui à ce titre n’ont pas droit à la libéralisation des services de l’information.

En résumé, selon le droit français, si l’emprise organisationnelle est telle qu’elle empêche la création d’un lien commercial entre le prestataire et ses clients, le travailleur indépendant pourra bénéficier d’une protection sociale minimale et de droits de représentation collective. Il s’agit selon nous d’une certaine forme de subordination nouvelle génération pour les relations de travail des plateformes numériques, une façon également pour la France de consolider un tiers statut pour des indépendants, pas vraiment autonomes, justifiant une protection inspirée du travail salarié. La France entre ainsi dans la même logique que celle des « worker » anglais, régime applicable aux chauffeurs Uber.com depuis la décision de la Cour Suprême du Royaume-Uni le 19 février. Au même moment, l’Espagne fait un pas dans la direction opposée et annonce l’introduction prochaine dans le Code du travail d’une présomption de salariat pour ces personnes, au nom de leur intégration dans le cercle organisationnel et disciplinaire de la plateforme (Proyecto de real decreto-ley para la garantía de los derechos laborales de las personas dedicadas al reparto en el ámbito de plataformas digitales).

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MLaw en droit social et droit public et assistante-doctorante à l’Université de Neuchâtel. DEA en Droit des affaires, droit des contrats à l’Université de Montpellier.