Lors du recrutement, les organisations désirent identifier chez les candidat-e-s des caractéristiques compatibles avec le poste offert (person-job fit) et l’organisation (person-organization fit ; Bangerter et al., 2012). Ainsi, elles ont la possibilité de recourir à différents outils allant d’une simple lecture de curriculum vitae à des tests psychométriques.

Parmi ces outils, l’entretien d’embauche reste le plus fréquemment utilisé. Lors d’un entretien, les recruteurs et recruteuses posent des questions aux candidat-e-s afin d’évaluer s’ils ou elles répondent à leurs attentes, puis décident de les retenir ou non pour l’embauche ou de prochaines étapes de sélection. L’entretien d’embauche structuré détient une des plus hautes validités prédictives parmi les instruments de sélection, c’est-à-dire qu’il prédit la performance future au travail (Roulin et al., 2012 ; Schmidt & Hunter, 1998).

Malgré cette forte validité prédictive, la décision basée sur les entretiens reste sensible à la subjectivité des recruteurs et recruteuses et aux comportements de gestion d’impression des candidat-e-s (Stevens & Kristof, 1995). Ces comportements verbaux et non verbaux ont pour objectif de se construire une image positive et attractive auprès des recruteurs et recruteuses (Schneider, 1981). Ainsi, la question demeure de savoir comment optimiser le processus de décision d’embauche basé sur les entretiens en minimisant les coûts de temps et d’argent. Actuellement, la présence croissante de la technologie au sein des processus de sélection essaie de répondre à cette préoccupation.

En effet, la technologie offre la possibilité de digitaliser certains tests psychométriques et de les rendre similaires à des jeux (gamification). De plus, l’intelligence artificielle (IA) permet d’inférer les traits de personnalité et valeurs des individus ainsi que de mesurer leurs expériences professionnelles et leurs compétences en se basant uniquement sur l’analyse des réseaux sociaux et professionnels (Chamorro-Premuzic et al., 2016).

En outre, les organisations ont la possibilité de conduire des entretiens d’embauche en ligne ou de digitaliser l’entièreté du processus en utilisant des avatars avec lesquels les candidat-e-s interagissent. Ainsi, les contraintes conventionnelles spatio-temporelles spécifiquement liées à cet outil de sélection peuvent être dépassées et l’analyse des comportements verbaux et non verbaux peut être plus fine et plus fiable : les recruteurs et recruteuses peuvent non seulement auditionner plus de candidat-e-s dans un plus court laps de temps, mais aussi proposer une évaluation peut-être plus équitable et plus exacte grâce à l’utilisation des algorithmes (Chen et al., 2016; Nguyen et al., 2014).

Cependant, l’utilisation des algorithmes est controversée, car les candidat-e-s n’étant pas à l’aise avec cet apport technologique dans les processus de sélection sont pénalisé-e-s lors de la décision d’embauche (Muralidhar et al., 2020). De plus, la réelle impartialité des algorithmes est mise en question. En effet, certains algorithmes comporteraient des biais dans l’évaluation des candidat-e-s, car ils auraient été testés sur des données spécifiques, à savoir les personnes ayant été retenues pour un poste (Sánchez-Monedero et al., 2020). Ainsi, ils pourraient n’avoir pas pris en compte les cas de « faux positifs », c’est-à-dire les personnes compétentes qui n’ont pas été retenues pour le poste. D’autre part, le processus opaque derrière la décision d’embauche générée par l’algorithme peut échapper aux recruteurs et recruteuses, ce qui a pour conséquence de les limiter dans la justification de leur choix (Liem et al., 2018). Une autre interrogation concerne la manière dont les organisations ou les plateformes d’entretien d’embauche en ligne peuvent garantir la protection de la sphère privée des candidat-e-s et le stockage confidentiel de ces données.

En conclusion, l’IA peut être synonyme d’un gain de temps et d’argent tout en apportant un espoir d’obtenir des résultats similaires, voire meilleurs que ceux obtenus par des recruteurs et recruteuses humains. En revanche, il serait nécessaire que la recherche et la pratique avec l’IA se penchent sur les questions de biais algorithmiques et de protection des données dans le cadre des entretiens d’embauche, de manière à préparer les organisations et les candidat-e-s à en tirer le meilleur profit.

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Doctorante FNS et collaboratrice scientifique à l'institut de Psychologie du Travail et des Organisations de l'Université de Neuchâtel, intéressée par les processus cognitifs et psychologiques impliqués dans les interactions sociales lors des processus de sélection (gestion d'impression, digitalisation des processus de sélection, intelligence artificielle et algorithmes)

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